Qu'est-ce que le luxe ?

Si vous posez cette question atour de vous : qu'est-ce que le luxe, quelques-uns, très religieux, vous diront peut-être que c'est au paradis seulement qu'on le trouve et comme récompense aux plus fidèles des croyants.

Mais en dehors de ces quelques cas, l'ensemble des autres vous répondra à peu près toujours la même chose : le luxe serait d'avoir une belle maison en dehors de la ville, avec une piscine et un vaste parc tout autour ; un portail vidéo-surveillé ouvrant automatiquement sur une allée bordée d'arbres où remonterait un chemin de graviers blanc, sur lesquels les pneus de limousines crissent, et contournant finalement un bassin équipé d'un jet d’eau et agrémenté de sculptures, à l'arrière duquel serait l'un de ces perrons d'où le personnel vient se charger de vos sacs Vuitton, pour aller en vitesse les déposer dans l'une des multiples chambres de votre propriété.

Pour la majorité, le luxe semble donc être une affaire de possession, de choses acquises et de services obtenus par de l’argent en quantité.

Mais le fait que, pour dire le luxe, tout le monde décrive presque exactement les mêmes possessions, les mêmes biens, et selon l'image la plus plate, la plus caricaturale de la richesse telle qu'elle s'étale dans les médias, montre qu'aucun de ceux qui vous répondent n'ont pris la peine de composer de cela une image qui lui soit propre. Sans quoi les réponses et les envies différeraient d'un peu au moins, de ce qu'il faut pour refléter un petit quelque chose de la personnalité de chacun.

Il faut donc comprendre que si la majorité considère que le luxe est bien une affaire d'argent, celui-ci serait moins lié à la nature de ce qui est possédé qu'au pouvoir d'acheter lui-même. Pour le plus grand nombre d'entre nous, le luxe est avant tout une enflure à l'extrême du pouvoir d'achat, un pouvoir d'acheter sans plus aucune limite.

Cette idée, bien sûr, est totalement stupide.

Qu'est-ce que le "Pouvoir d’achat" ; c'est une expression destinée à cacher la perte de notre pouvoir sur la vie. Le pouvoir d'achat est la réduction de notre capacité d’action à une seule capacité d'acquisition de marchandises ; marchandises sur lesquelles nous n’avons par ailleurs aucune influence, ni rien à dire

Le pouvoir d’achat, est ce qui nous reste lorsque nous n’avons plus aucun pouvoir sur rien. C’est l’illusion de choisir et de décider là où tout est déjà choisi, y compris la marchandise à acquérir et dans quel ordre. La seule liberté que le Pouvoir d'achat vous laisse c'est de décider, par exemple, si aujourd'hui comme il y a deux mois, mais à la différence de la semaine dernière, vous irez directement au Géant Casino ou si vous passerez d'abord par Décathlon et Bricorama. Voilà le genre de liberté et de puissance qui vous sont garanties par le pouvoir d'achat.

On peut appeler ça comme on voudra, mais pas un pouvoir. Ce n'est pas un pouvoir, c'est une injonction. Et il faudra m'expliquer par quel miracle nous en venons à penser qu'à l'extrémité d'une telle contrainte — le pouvoir d'achat — se trouverait notre meilleure définition du luxe.

Si nous imaginons cela, si nous voulons croire qu'il y a un luxe au bout de ce chemin de misère, c'est parce que nous nous sentons incapables de nous en écarter, et qu'il vaut mieux alors lui donner un peu d'allure et une destination utopique, même si nous savons parfaitement qu'il ne mène nulle part, si ce n'est à l'ennui le plus profond.

Mais, finalement, de quoi avons-nous peur ? Nous n'avons pas peur de perdre l'accès à toutes ses marchandises. Tout le monde s'en fout, en vérité. Ce qui nous retient, Ce dont nous avons peur c'est de perdre accès à nos seuls besoins irréductibles, aux besoins essentiels que sont "se nourrir", "se vêtir" et "s'abriter".

C'est pourquoi nous disons que le luxe véritable, c'est de ne pas avoir à craindre le lendemain. C'est tout. Seulement ça : pas de crainte du lendemain. C'est ça le luxe, c'est ça.

Cela paraît simple, trop simple même pour porter le nom de luxe. Et cependant un nombre infime de personnes connaissent cette situation de n'avoir pas la crainte du lendemain.

Tout le monde a peur. Les riches tremblent à l’idée de perdre ce qu’ils possèdent. Les moins riches tremblent à l’idée de perdre leur travail et les pauvres tremblent à l’idée de perdre leurs allocations.

C'est donc ce qu'il faut changer. Si nous sommes pris dans un système qui ne satisfait personne mais qui se maintient parce que tout le monde a peur du futur, lutter contre la peur est la première chose à faire. Nous devons offrir au plus grand nombre le luxe de la confiance dans les lendemains.

Pour cela il faut bâtir une société où nous n'aurons pas à nous soucier des besoins élémentaires.

  • Où nous n'aurons pas de problème pour nous nourrir
  • Où nous n'aurons pas de problème pour nous vêtir
  • Où nous n'aurons pas de problème pour nous loger

À quoi nous devons désormais ajouter :

  • Où nous n'aurons pas de problème pour nous déplacer.

La gratuité est la clé. La gratuité répondra à nos besoins élémentaires et nous n'aurons plus à avoir peur de perdre l'essentiel.

On veut cependant nous prévenir qu'avec l'instauration de la gratuité pour les besoins élémentaires, nous devrons craindre un danger nouveau : nous devons craindre que le peuple, alors entièrement rassuré, ne fasse plus rien et que la société ne s’effondre sur elle-même dans une sorte de fainéantise généralisée.

Mais avons-nous quelque chose contre la fainéantise ? Non ! Non !

À voir l'ampleur et la gravité des dégâts causés sur Terre au nom de la production et du travail, nous ne craignons pas de ne rien faire plutôt que de faire ces choses-là.

Pourquoi ne pourrions-nous pas simplement cesser de nous soumettre à un patron ? Cesser de vouloir lui ressembler un jour et tout ça pour un travail imbécile qui ne permet que d’imiter pauvrement le pauvre univers étriqué, mesquin et stérile des riches, qui ne connaissent eux-mêmes ni repos ni tranquillité ni apaisement? Allons-nous continuer à désirer et admirer le sort de cette triste bande de fripouilles qui n'ont d'autres ambitions dans la vie que de continuer à faire ce qu’ils font et aucun autre horizon dans la tête que la maison, la bagnole ou le bateau qu’ils achèteront demain.

Si nous admettons que le luxe s'est de vivre sans la crainte, alors nous avons sous la main la possibilité de faire de la vie un autre jeu, bien plus beau, plus exaltant et plus intéressant que celui qui consiste à toujours imiter les maîtres, les patrons, les chefs et tous ceux qui règnent par la police, par la menace, par la peur et le bâton, un jeu où chacun pourra participer et où ceux qui perdront avec brio, audace et élégance seront portés en triomphe et serviront de modèles aux enfants.

Merci